Sylvain Laporte, Partner et gérant chez Elevation Capital Partners, société de gestion du groupe Inter Invest, vous présente son anayse du secteur hôtelier et l'opportunité qu'il constitue dans le cadre d'une stratégie d'investissement en Private Equity immobilier diversifiée.
Pouvez-vous nous expliquer quelle place tient l’hôtellerie au sein de la stratégie de Private Equity immobilier développée par Elevation Capital Partners ?
Depuis 2020, nous avons créé et développé une gamme de produits en Private Equity immobilier sur une stratégie diversifiée. Notre thèse d’investissement repose sur deux piliers : la valorisation d’actifs immobiliers et l’immobilier dit « géré ».
Concernant la 1ere thématique nous adressons aussi bien des opérations de réhabilitation (Value-add, Core), que des opérations de marchands de biens ou encore de promotion immobilière.
La seconde repose sur l’immobilier géré au sens large i.e. toute activité commerciale qui met un actif immobilier au centre de son business model. On y retrouve ainsi l’hospitalité (hôtellerie, hôtellerie de plein air, etc.), les résidences gérées (senior, santé, étudiants, etc.) mais également l’éducation (école) ou encore les nouveaux usages liés à l’immobilier (Flex office, Co-living, etc.).
Notre stratégie se veut diversifiée, agile et opportuniste afin d’être en mesure de capter les projets les plus créateurs de valeur pour nos souscripteurs. Par ailleurs, nous avons la conviction que ces segments de marché sont guidés par des tendances de marché différentes, permettant, dans le cadre de la constitution d’un portefeuille, d’atteindre une certaine stabilité de la performance sur nos durées d’investissement.
Les investissements dans l’hôtellerie sont donc une des composantes de votre stratégie en Private Equity immobilier. Comment se comporte actuellement cette classe d’actif et quel constat peut-on dresser après la période Covid pendant laquelle l’hôtellerie a été fortement impactée ?
Depuis juin 2022 et suite à l’aggravation de la situation en Ukraine, une vague inflationniste a touché l’Europe notamment, conduisant à une augmentation des taux directeurs de la BCE. En 18 mois, la baisse des taux en cours depuis 10 ans a été effacée. Cette augmentation sensible et soudaine a provoqué une sidération sur le marché immobilier notamment en réduisant la capacité d’emprunt des acquéreurs et augmentant les charges pour les acteurs financés en taux variables.
Ce contexte a touché toutes les classes d’actifs immobiliers au-delà même du résidentiel et concerne notamment le bureau mais aussi la logistique et l’hôtellerie.
Cependant nous notons que cette dernière, qui n’avait pas encore effacé la baisse liée à la crise Covid en 2021 a déjà dépassé son niveau de fin 2019 c’est-à-dire pré-covid.
Cela démontre que cette classe d’actif bénéficie d’une très bonne résilience et l’a prouvé à maintes reprises. En effet, si la crise Covid a été un stress-test grandeur nature pour le secteur, il avait déjà réussi à surmonter d’autres crises : vagues d’attentats, mouvement des gilets jaunes, etc.
Le secteur a donc des fondamentaux solides notamment liés au fait que l’hôtellerie se compose à la fois d’un actif immobilier et d’une exploitation commerciale. Pendant la période inflationniste, le secteur a réussi à la compenser et même à augmenter ses prix moyens par chambre, absorbant les coûts induits par la crise (augmentation des coûts de l’énergie, de la masse salariale, etc.) et protégeant ainsi la valeur de l’actif immobilier. Pendant la crise covid, à l’inverse, la valeur des murs a représenté une valeur défensive pour les investisseurs. Cette dualité est une des grandes forces du secteur et une des raisons pour laquelle nous adressons ce marché principalement sous le format murs et exploitation.
Par ailleurs, la France reste l’une des destinations mondiales les plus prisées avec 98 millions de touristes en 2023[1], et est capable d’organiser de grands événements à la portée internationale (coupe de monde de rugby en 2023, JO en 2024), contribuant, en plus de son patrimoine exceptionnel, à son aura à l’étranger.
Enfin, le marché hôtelier est globalement un marché en sous-offre et sur lequel s’opère une montée en gamme des hôtels depuis déjà plusieurs années. Cela nécessite donc des campagnes de travaux régulières, des repositionnements d’actifs et donc pour les opérateurs, la nécessité d’apports en fonds propres importants que nous sommes en capacité de leur fournir.
Vous adressez ce secteur sous un format global c’est-à-dire murs et exploitation. Pourriez-vous nous décrire plus précisément vos critères d’investissement ?
Nous recherchons des investissements sur lesquels nous identifions un potentiel de création de valeur important. Cela peut passer par une création d’hôtel (construction ou reconverstion d’un actif en hôtel), son repositionnement (travaux, changement d’enseigne, montée en gamme etc.) ou son extension.
Par ailleurs, nous visons des établissements dans des capitales régionales ou en Ile de France, d’une capacité minimum de 50 clés, taille permettant d’absorber suffisamment de coûts fixes et maximum de 150 clés permettant d’optimiser le yield management. Cette taille cible correspond également aux actifs les plus liquides sur le marché, s’adressant à de nombreux types d’acquéreurs potentiels (hôteliers, familly office, fonds, etc).
De plus, nous privilégions des hôtels ayant des emplacements stratégiques sur leur zone d’implantation et qui sont en capacité d’attirer à la fois une clientèle d'affaires en semaine et loisir en fin de semaine, afin d’optimiser leur RevPar (revenu par chambre disponible). Par ailleurs, nous sommes attentifs à la composante Food & Beverage (alimentation et boisson). Nous apprécions qu’elle représente autour de 20% maximum du chiffre d’affaires sauf cas particulier (établissements Lifestyle par exemple dans lesquels les activités de F&B peuvent représenter jusqu’à 50 % du chiffre d’affaires).
Bien entendu, nous nous adossons à des opérateurs solides et expérimentés aussi bien dans la gestion opérationnelle que dans leur capacité à mener un plan de repositionnement pertinent de l’établissement et avec un historique éprouvé. Systématiquement, ces opérateurs doivent investir à nos côtés afin de maximiser notre alignement d’intérêt.
Enfin, notre attention porte également sur le prix d’entrée de l’actif. Cet élément est primordial dans l’économie de l’opération afin d’atteindre le retour sur investissement visé.
L’hôtellerie est un marché profond qui recouvre des établissements de types très différents allant du palace à l’hôtellerie dite super-économique. Quel segment de marché vous semble le plus pertinent ? Quelles sont les tendances du secteur ?
Effectivement, nous avons la chance d’avoir un panorama d’offre très diversifié en France.
Selon l’INSEE on compte fin 2023 plus de 16 000 établissements dont plus de 12 000 sont classés, c’est-à-dire bénéficient d’1 à 5 étoiles.
Parmi ces établissements, 93% des hôtels se positionnent entre 2 et 4 étoiles c’est-à-dire de l’hôtellerie économique au milieu de gamme. Ce segment est donc logiquement notre cœur de cible et c’est également sur ce segment que la demande d’hébergement est la plus importante.
Par ailleurs, selon notre analyse, ce segment permet d’avoir un bon équilibre entre la valeur défensive des murs et les flux d’exploitation, permettant de maximiser le levier bancaire sur l’opération.
En effet, sur le segment super-économique, la valeur patrimoniale des murs est beaucoup plus faible, du fait notamment de la qualité de construction et de l’emplacement des actifs. En revanche, les flux d’exploitation sont intéressants car la structure de coût est simple : peu de services offerts et donc une masse salariale réduite, une activité F&B souvent limitée à un service de petit déjeuner. Sur la partie 5 étoiles en revanche, le service nécessite une masse salariale plus importante et un parfait entretien de l’actif. Les clients sont logiquement plus exigeants sur la qualité de la prestation et l’offre de services. La partie F&B mais aussi de bien-être par exemple (spa, fitness, etc.) doit être en ligne avec les attentes de ces voyageurs. Par ailleurs, souvent lovés dans des bâtiments de très haut standing (hôtel particulier, domaine en bord de mer, etc.) ces actifs ont une valeur intrinsèque très importante.
En soi, il n’y a pas de segment plus pertinent qu’un autre mais des structures de coûts et des niveaux d’investissement qui sont différents par nature. L’important est la cohérence du projet dans son ensemble et la capacité de service avec un rapport qualité/prix qui correspond aux attentes des clients. Il est certes plus valorisant (socialement parlant) d’être actionnaire d’un hôtel haut de gamme plutôt qu’un hôtel économique mais d’un point de vue financier, cela n’a rien d’une évidence. Les hôtels 5 étoiles représentent seulement 4% des hôtels classés, une frange du marché relativement fine. Par ailleurs ils nécessitent un investissement par clé qui peut dépasser le million d’euros. Il est donc primordial de bien juger la pertinence du produit sur son marché pour qu’il puisse rencontrer sa clientèle.
Parallèlement, l’offre hôtelière s’est beaucoup étoffée pour répondre aux attentes des voyageurs désireux d’offres moins standardisées, hybrides, mêlant travail et loisirs lors d’un même séjour (dit bleisure contraction de business et leisure).
C’est ainsi qu’à la fois de nouvelles franchises d’acteurs internationaux comme Accor ont fleuri ces dernière années (Handwritten, MGallery, Greet…) mais également de nouveaux concepts entre l’auberge de jeunesse et l’hôtel (l’hostel).
Enfin, on note un phénomène de professionnalisation et de concentration du secteur. Désormais plusieurs groupes hôteliers indépendants gèrent plus de 50 établissements, poursuivent leur croissance hors des frontières françaises (Belgique, Espagne, Allemagne, Italie…) et développent, parfois en parallèle de l’utilisation de franchises, des concepts propres, s’affranchissant ainsi des grands groupes hôteliers.
L’hôtellerie nécessite donc, pour un investisseur, une certaine compréhension des évolutions du secteur et nécessite une expertise de plus en plus accrue.
Pour finir, quel a été l’impact des JO sur l’hôtellerie cette année ?
L’année 2024 est une année de stabilisation après un excellent millésime 2023 pour le secteur.
L’approche des JO a particulièrement affecté l’hôtellerie en Ile de France en juin-juillet, les clients préférant reporter leur déplacement compte tenu de l’installation des sites olympiques et en raison d’une météo maussade.
Par ailleurs, les attentes du secteur étaient très ambitieuses sur la période des JO et le segment haut de gamme en ressort gagnant notamment avec un mois d’août de très belle facture.
Lille a été une destination qui a également très bien fonctionné sur l’ensemble des segments. On peut citer également Lyon et Marseille.
Ces Jeux, très réussis dans leur ensemble, ont surtout permis de mettre la France (et Paris) sur le devant de la scène avec de très belles images diffusées dans le monde entier. Cela devrait permettre de soutenir encore davantage la destination pour les voyageurs internationaux et donc pourrait profiter à moyen terme aux acteurs du tourisme.
[1] Source : Atout France « En rétrospective : 2023, une année exceptionnelle pour le tourisme français ! »